Groupes séparés: Tous les participants

4- Artisanat en cellule


Dès la création de l'ordre, Saint Bruno prescrit des travaux manuels pour les pères. Cela pour leur permettre de se détendre après les longues heures consacrées aux exercices spirituels. Avec l'expérience, les moines parviennent à "dissocier les gestes et l'esprit" et ainsi ils peuvent ils réciter de courtes prières voire méditer tout en travaillant.

Ces tâches manuelles sont menées exclusivement en cellule. À côté des tâches de jardinage, entretien de la cellule, débitage du bois de chauffage, les chartreux ont des activités diverses selon l’époque et leurs goûts.

 

À l'époque médiévale,  la confection de manuscrits d'enluminure et d'assemblage de manuscrit semble avoir été prépondérante.

        

 Moine copiste de l'abbaye de Saint-Denis. Miniature extraite d'un manuscrit du XIVe siècle des Grandes Chroniques de France. (Bibliothèque nationale de France, Paris.)

  • Selon  M. Montgrion ce travail de reproduction est attesté par différents documents : « la bibliothèque Nationale conserve deux reçus autographes des prieurs Dom Chaudon et Dom Robert Cistel datée respectivement du 11 février 1466 et du 28 mars 1484 qui sont magnifiquement écrites. Au XVéme siècle, le Port Sainte Marie se rangeait parmi les chartreux qui furent les précurseurs de l’imprimerie : le calendarium de Glandier note au sujet de Dom Antoine de Bussiéres qui avait quitté le Port en 1444 il ne cessait(…) d’imprimer des livres en caractères volants libros in littera formata scibero".
  • D’autre part, un compte rendu de l’Académie de Clermont du 6 janvier 1853 mentionne une intervention de M. Poyet ingénieur des mines à Pontgibaud qui expose divers objets de la chartreuse dont quinze encadrements de lettres en bois et cinq types de lettres en plomb:  B i I M P provenant de la chartreuse.

Il semble donc que dans le domaine de l'expression de la pensée les chartreux sont comme dans d'autres domaines de réels précurseurs.

On posséde peu de mention d'écrits de moines chartreux du Port. L'abbé Mioche indique un ouvrage de Dom Rigaud en 1760 ayant pour titre : "L'esprit et la pratique de la dévotion au sacré coeur de Jésus" et il précise q'une seconde édition de cet ouvrage fut donnée en 1894 par Me Thibaud-Landriot imprimeur à Clermont Ferrand.

Pour en savoir plus sur les particularités du travail de copiste en chartreuse : Prêcher en silence: enquête codicologique sur les manuscrits du XIIe siècle ...Par Dominique Mielle de Becdelièvre

 

 Puis les activités se sont diversifiées. 

Au Port Sainte Marie, une lettre et un inventaire révolutionnaire nous indiquent la pratique de la menuiserie, de la tournerie, de la gnomonique et de la marqueterie de paille. Ces informations sont pour partie confirmées par les fouilles de la cellule 4.05 qui ont permis de confirmer la tournerie, la tabletterie, la marqueterie, le reprisage des vêtements, l'assemblage de chapelets ou de rosaire.       

 

 

 

La tournerie et  tabletterie sur os et ivoire 

L'introduction de la tournerie en chartreuse semble liée au développement du culte marial. Au XIVème siècle, Dominique de Prusse, profès de Trévesse crée un rosaire comportant 50 Aves et 50 énoncés sur la vie du Christ et de la Vierge : un rosaire cartusien qui va se populariser. En parallèle, on observe la présence, dès 1492 du chapelet : " le patenôtre" à dix dizaines porté à la ceinture par les religieux de l'ordre dans les gravures et sceaux représentant les chartreux.

La fouille de la cellule 4.50 au Port Sainte Marie indique qu'en 1600, le moine tourne et confectionne des objets en os, en ivoire et en alliage cuivreux notamment des chapelets. Au fil du temps, la tournerie se développe en chartreuse. Dom Innocent Le Masson en 1676 recommande "la pratique du tour quand la fatigue des yeux, les maux de tête ou une tension ennuyeuse nécessitent que l'on se "divertisse" d'une main habile et d'un pied savant". A l'époque moderne, la tournerie et la tabletterie sont des activités régulières en chartreuse. Les inventaires de la Révolution en témoignent, ainsi au Port, en décembre 1790, Dom Vicaire utilise deux tours  un à mandrin, un à pointes, une petite presse, deux scies à main, deux rabots, deux varlopes"

 

 

Lors des fouilles de cette cellule, ce sont 433 pièces qui ont été retrouvées, parmi lesquelles des grains de chapelets, des appliques et éléments de marqueterie pour du petit mobilier de bois, des charnières de coffrets, des pyxides (vase sacré en forme de boîte utilisé pour conserver les hosties consacrées) et des bougeoirs, une collection qui permet de retracer l'ensemble des processus opératoires, de la découpe à l'objet achevé. Il faut souligner que certains de ces objets, de par la finesse de leur réalisation témoignent de la dextérité de leurs concepteurs.

L'os est la matière la plus abondante dans les lots recueillis (191 objets).

 

 

  

 URAC

 

 la technique de travail de l'os

 

 Le Hausbuch der Mendelschen Stiftung 
écrit à Nuremberg entre 1425 et 1436,

 

L'os, avant d'être utilisé, doit être décharné, dégraissé puis, seules les diaphyses (partie tubulaire compacte de l'os qui entoure la cavité de moelle osseuse) sont utilisées. Il semble qu'au Port, ce travail se faiit directement en cellule. Les diaphyses étaient ensuite plongées dans l'eau et portées à ébullition, souvent il est rajouté des ingrédients à l'eau comme de la chaux ou de la cendre.

Le travail de confection commençe alors avec le débitage en matrice selon deux méthodes :

  • découpe longitudinale pour les objets de grande taille, accomplie par percussion lancée ou posée,
  • débitage transversal réalisé à la scie pour les objets cylindriques ou de faible longueur.

La matrice découpée, les angles étaient abattus à la râpe et les grains étaient ensuite tournés.

 

 

Etapes de la chaîne opératoire   URAC Mireille Chabrier

 

La production observée au Port Sainte Marie peut se regrouper en deux catégories : les éléments de chapelets : grains, croix et ceux de décoration : appliques et pièces de marqueterie. 

Les grains de chapelets présentent des formes simples sphériques, ovales, cubiques ou doubles. La présence  de chute de fil en alliage cuivreux laisse penser que le moine réalise le chapelet du début à la fin.

 Il faut aussi signaler un grain de forte dimension( 2,3 cm de long pour un diamètre de 2,6 cm ) destiné sans doute à un grand chapelet enfilé sur une corde.

 Les fouilles ont permis de mettre en évidence une technique de prélèvement de matrice inconnue jusque-là. Elle consiste à détourner une série de grains, d'anneaux ou de boutons sur une tablette d'os.  

 

Pour les appliques de marqueterie, on remarque une plus grande technicité et plus d’imagination. Leurs surfaces sont décorées de rainures, de portions concaves, convexes ou planes.  Des percements laissent supposer qu’elles étaient destinées à être rivetées ou clouées, peut être sur des plats de livres ou de petits objets en bois. 

 

 

URAC Mireille Chabrier

 

 

Le travail du fer

Les fouilles de la cellule ont permis de mettre à jour 78 pièces en alliages cuivreux et fer : appliques, clous de tapisserie, fils, maillons, épingles. Des pièces qui peuvent être utilisées pour :

  • des travaux de décoration en appliques,  les clous peuvent, peut être, permettre de fixer les appliques. On note que l'un d'entre eux  présente une tête décorée en forme de fleur,
  • des travaux de couture, les moines, selon la règle devait repriser leurs vêtements,
  • la confection de chapelet, la présence de fil d'alliage cuivreux indique que les chapelets sont réalisées en intégralité par la même personne. 

 

 

   

La gnomonique (à partir de l'étude de M. Chabrier)

Au XVème siècle la gnomonique renait en Occident avec l'adoption du style incliné. Les chartreux s'intéressent à ces pratiques comme le suggère la découverte de deux cadrans solaires portatifs horizontaux en ardoise à la chartreuse.  L’un découvert de façon fortuite sur le site est appartenant à une collection privée, l'autre retrouvé lors des fouilles dans la cellule 4.05. Ces fabrications témoignent des compétences techniques et scientifiques des moines.

 

Cadran solaire portatif horizontal : 

lncomplet, Ardoise.

Table gravée à la pointe sèche. Heures indiquées en chiffre arabe, matérialisées par des lignes horaires convergeant vers un décor indéterminé. Angle orné d'une tête d'ange esquissée. Frise de feuillage sur la partie inférieure du cadran.

Faces supérieure et inférieure comportant des traces d'outil et irrégulièrement piquées de nombreux petite trous circulaires.

L max. cons. : 11,3 cm; l. max. cons. : 10.2 cm; l. reconstiuée : 16.9 cm; ép, : 0.25 cm. 

Localisation : Port- Sainrc-Marie, cellule 4.S0, atelier

Datation : 2éme moitié XVIIème siècle.

 

 

Cadran solaire portatif horizontal : 

lncomplet, Ardoise.

Table gravée il la pointe sèche. Heures indiquées en chiffre arabe, matérialisées par des lignes horaires convergeant au centre d'un cercle. Demi-heures marquées par des points et des segments de droite.

Lignes horaires et lignes des demi-heures circonscrites dans un cercle.

Deux percements «diam. 0,1 cm) sur la cassure permettaient probablement la fixation du style

L. max. cons.: 7,6 cm ; l. max. cons. : 3,65 cm ; diam. reconstitué : 9,75 cm . ép. max. : 0,2 cm ; èp. mini. 0,15 cm.

Localisation: Port-Sainte-Marie, collection Goutratel. 

Datation: 2éme moitié XVIIème siècle ?

 

D’autre part une lettre de 1734 de Dom Bigot, laisse à penser que les moines continuaient ce type de fabrication. Par les termes employés « badinages cylindriques », « hauteur du pôle de Paris » «  des lignes courbes qui sont les lignes horaires » on peut supposer que cet objet mystérieux  était un cadran solaire.      

 

 

 

La marqueterie de paille

 

UN PEU D'HISTOIRE

 C’est du XVIIème au milieu du XIXème siècle que la marqueterie de paille s’est  surtout pratiquée. Plusieurs sources confirment l'existence d'une production monastique de marque­terie de paille, en particulier dans le centre et l'est de la France.

 Le Puy-en-Velay, ville de pèlerinage située au cœur d'une région de culture du seigle, réputée pour son orfèvrerie et ses dentel­les au carreau, a été un centre de produc­tion de marqueterie de paille comme en témoignent les documents, moules pour gaufrer la paille et pièces en marqueterie conservés au musée Crozatier du Puy. Les artisans étaient des religieux et des religieuses dans leurs monastères, mais aussi des laïques. L’apogée de la production dans cette ville se situe peu avant la Révolution. 

Les Chartreux du Monastère de Brive-Charensac, près du Puy, se créaient ainsi des ressources au début du XIXèmesiècle : «nos religieux fabri­quent quantité de gracieux ouvrages en paille diversement coloriés : coffrets, étuis, boîtes, portefeuilles, tableaux, etc. les Chartreux italiens avaient au XVème siècle donné leur nom (Certosini) à une technique de mar­queterie (alla certosina) dans laquelle ils brillèrent. 

Au Port Sainte Marie, d'après les inventaires de 1790, trois religieux possèdent dans leurs cellules des presses à paille et un petit coffret était présenté dans les années 70 au musée de Riom.

 UNE TECHNIQUE POUR QUOI FAIRE ?

 La marqueterie de paille se retrouve sur des objets religieux pour la célébration du culte: devants d'autel, chasubles, boîtes à hosties rondes ornées du Sacré Cœur ou du monogramme du Christ, pales (carrés destinés à couvrir le calice), bénitiers. Moins luxueuse et sûrement moins onéreuse elle remplaçait  l'or et la soie.

 Mais elle est aussi utilisée sur des objets du quotidien : plateaux, boî­tes, étuis, sabliers, sacs, flacons. Les coffres et coffrets furent à toutes les époques des supports parfaits pour la marqueterie de paille. On en trouve d'assez nombreux du XVIIe siècle, souvent conçus sur le même modèle mais de dimensions variées.

boite Musée Crozatier

 

Coffret collection privée 

LE TRAVAIL DE LA PAILLE

  • LES MATÉRIAUX

Le matériau de base est la paille. Selon les régions et les époques, la plus utilisée a été la paille de seigle, d'orge, d'avoine ou bien de blé. La paille de blé était aux XVIIe et XVIIIe jugée plus belle et donnant un travail de meilleur aspect.

Les matériaux servant de support à la paille ont été selon les époques le bois, le carton, le papier mâché, le papier, le tissu de soie ou de satin, le verre et même le métal.La paille était soit collée directement sur le matériau servant de support, soit collée d'abord sur du papier puis sur le support de base. Les papiers encollés étant en général usagés (journaux de comptes, registres de prisons, lettres), ils nous donnent de précieux renseignements sur les lieux et dates de fabrication 

  • LA TEINTURE

 La première opération est la teinture des pailles. Les pailles naturelles ont des couleurs variables, allant du blond doré au vert pâle en passant par des jaunes clairs ou foncés. Ces tons diffèrent selon les variétés de céréales et la saison à laquelle les pailles ont été coupées et séchées. Contrairement aux ouvrages tressés ou brodés qui utilisent souvent la paille naturelle, les marqueteries de paille ont large ment fait appel aux teintures.

Les teintures furent d'abord presque exclusivement végétales (à partir de bois et de plantes). Ensuite se développèrent les teintures d'origine animale ou minérale puis les teintures chimiques. 

  • LA MISE OEUVRE 

 

L'atelier du marqueteur de paille ne demande pas un outillage compliqué. Il s'agit d'abord de fendre la paille. L'outil le plus simple est l'ongle lice.

Des  fendoirs en bois dur, en os, en corne ou en métal permettent de diviser une paille en trois, cinq, sept et jusqu'à treize brins plus ou moins étroits.
Les fendoirs étaient individuels et fixés au bout d'un manche, d'autres étaient regroupés sur de petits cadres en bois fixés sur un socle.
L’étape suivante consiste à aplatir la paille, soit au marteau à plaquer, soit au fer chaud, sur une planche en bois dur. Elle est ensuite coupée,
selon le motif recherché, avec un tranchet, une lame de rasoir.
 

 

Le collage se fait à la colle blanche et à l'aide de plioirs en os. La colle utilisée anciennement était une colle de poisson, similaire à celle des ébénistes. Le travail est ensuite placé et mis en presse ou serré à l'aide de serre joints, pour une parfaite adhérence de la paille sur son support et pour une parfaite planéité.

  Au XVIIème, on utilise surtout la technique dite en appliqueLes brins de paille constituant le décor sont collés côte à côte, sans nécessairement se toucher, sur un fond généralement peint en noir, l'opposition du clair et du foncé formant déjà un premier élément de décor. Dans le cas de motifs floraux, les éléments, pétales ou feuilles, sont collés en surépaisseur. Les décors sont extrêmement variés, jeux de fonds géométriques, ornements stylisés.

 La meilleure finition s'obtient avec un peu de cire ou de cirage naturels ou légèrement colorés que l'on passe au chiffon, dans le sens des pailles pour ne pas risquer de les décoller, et que l’on fait briller doucement.

 

 

 

 

 

 

 

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