L'agriculture et les chartreux

1 Le domaine agricole de Montagne

Le domaine de montagne des chartreux peut se diviser en deux parties : celles exploitées directement par les chartreux à partir de la ferme du site et dans leurs deux granges : Montavert et le fief des chaumes et les propriétés en métairies qui sont les plus nombreuses. Ce domaine s'est constitué à partir de donations,d'achats d'échanges. Il faut se rappeler que selon l'ancienne législation, les tenanciers qui ne pouvaient s'acquitter des cens annuels ne pouvaient vendre les terres féodales à d'autres qu'aux anciens seigneurs de ces terres et les famines les épidémies qui ont régulièrement frappées la région ont favorisées ces rachats.   

    • A la chartreuse, les frères chartreux, les convers assurent la gestion du domaine agricole sous la direction du procureur. Leur vie se partage entre temps de prière dans l’église et le travail à l’extérieur ou dans le cellier. Mais cet emploi du temps varie selon les époques de l’année, les temps de prières sont diminués pendant la grande activité agricole au printemps et en été. En dehors des frères convers, d'autres personnes interviennent pour assurer les différentes tâches agricoles et autres. Ce sont les donnés ou oblats qui vivent temporairement ou définitivement à la chartreuse dans le but d’expier leurs péchés ou à la suite d’un vœu. Ils suivent les mêmes « coutumes » que les frères convers. Et enfin ce sont surtout les ouvriers agricoles qui sont les « employés » de la Correrie ou des domaines. Ils sont rémunérés pour leur travail et ne participent pas à la vie religieuse du monastère. Ils résident dans les communes avoisinantes dans de petites maisons, " les maisons de journaliers " qui se retrouvent encore dans les villages autour du monastère. Enfin les métayers peuvent aussi avoir à assurer des journées de charroies ou de manoeuvres, de bohades (fourniture d'une paire de bœufs ou d'une charrette, pour transporter du vin) ou vinades (fourniture de deux paires de bœufs ou d'une charrette, pour transporter du vin) en dehors des versements en nature.  

    • Les mas, métairies des chartreux sont de dimensions variables maisons, courtils, terres, prés, patûres, garennes et bois généralement situés prés d’un point d’eau. Ils sont séparés les uns des autres souvent par un accident naturel de terrain, ruisseau ou par une rangée d’arbres. Ces mas semblent avoir été acensés le plus souvent à une même famille mais les chartreux perçoivent des redevances soient en nature soient mixtes.  ils se réservent la seigneurie, la protection des forêts et souvent 1/3 denier des ventes.

"il lui appartient de plus dix petites métairies situées dans un païs de montagne qui peuvent rapporter tant en croit de bétail qu'en récoltes de grains , l'une portant l'autre 200 livres" ( déclaration de revenus 1729) 

L'études des baux  de 1770  par E. Montpied et A. et M. Faure montre que, s'ils sont d'une grande précision, ces baux différent peu des clauses des autres baux de cette région des Combrailles. Par leur étude, on peut remarquer :

  •  le maintien de lignée d'exploitants : Rossignol à Montavert , Pailhoux à Rossignol.
  • la stabilité des structures d'exploitation même chiffre de boeufs arants, évaluation du cheptel équivalente.

M.Roumy   

La vente du domaine de Maix en 1702 citée par l'Abbé Mioche, nous permet de mieux connaitre le contenu d'un de ces domaines 

"Voici l'état de bâtiment du domaine de Maix :

« ….1 Une maison avec une petite chambre, un petit grenier au-dessus de ladite chambre, et un estable entre ladite maison et ladite chambre

avec un four joignant à la taupeine dudit bâtiment et un petit estable de pourceau audessous, le tout contigu avec ses aisances;

2 Une grange d'en haut avec deux estable attouchant avec leurs aisances;

3 Un petit estable, proche de. deux cy devant,la bar­rière entre deux;

4 Deux autres granges avec un estable de brebis, le tout contigu avec les aisances. »

Toutes les propriétés du domaine sont indiquée et con­finées ~.

« Bestail du dornavne de May, à M. de la Vergne:

« Trois paire de bœufs; dix vaches, huit d'ycelles plaines et les autres vassives ; dix velles ou taureaux; cent cinq brebis, et cinquante agneaux…. »

le jardin du monastère

Comme le souligne N. Nabert, la gestion des jardins et productions de la correrie fait l'objet d'un certain nombre de textes, dans "les coutumes" de Guigues Ier il est noté la répartition des tâches et tout cs qui concerne les besoins alimentaires en vin, pain, salade, herbe potagère, fruit, fromage, poisson et œuf qui justifieront l'organisation du jardin potager et du verger mais aussi de la pisciculture.

 

L'ordre des Chartreux interdit la viande et volailles de toutes sortes. Les moines sont autorisés à manger des œufs, du poisson et des produits laitiers, une alimentation essentiellement végétarienne de la communauté qui nécessite un jardin riche et varié. Le jardin est donc un élément du quotidien de la vie en chartreuse, élément de la structure de la cellule mais aussi indispensable pour les besoins alimentaires.

Au Port Ste Marie, même si les plans évoquent plutôt un jardin à la française, on imagine que ce jardin se composait de plusieurs espaces bien délimités : le jardin des simples, le jardin potager pour assurer la nourriture des moines et de leurs ouvriers, le verger et le carré liturgique pour le fleurissement de l'église. Pour mener à bien cette exploitation le frère Jardinier disposait d'un local spécifique qui fut vandalisé durant la période révolutionnaire. 

 

Le jardin des simples, domaine du barbier, regroupe les plantes médicinales qui sont utilisées pour les moines mais aussi pour les pauvres qu'ils accueillent et qu'ils soignent. Jusqu'au XVIIIe siècle, on a l'habitude faire le lien entre la forme et l'aspect des plantes et leur propriétés thérapeutiques selon la formule similia similibus curantur "les semblables soignent les semblables". Pour l'organisation de ces espaces médicaux on se base plutôt sur l'usage des plantes : les plantes à fièvres, les plantes vulnéraires pour les traumatismes et les plaies (l'achillée mille-feuilles dite herbe aux charpentiers capable de stopper le sang, la grande consoude, réparatrice de blessures, l'aigremoine, la cicatrisante; le millepertuis, anti-brûlures), les purges, les plantes des maux de ventre (fréquents en raison d’une nourriture mal équilibrée), les plantes antivenimeuses. 

Dans le jardin potager, on retrouve plusieurs types de production :

  • les herbas crudas (les herbes qui se mangent crues) : les salades comme la chicorée que l'analyse pollinique trouve en quantité dans la cellule ou les plantes aromatiques pour la cuisine comme pour la pharmacopée,
  • les leguminae (légumes secs) : les fèves, les pois, les vesces, les haricots,
  • les olerae (légumes verts) : les choux, les poireaux, les bettes,  
  • les radices ( les racines) : raves, navets, carottes. On peut cependant supposer que différents légumes étaient alors cultivés comme les choux, poireaux, carottes, poirées, fèves, houblon (des plants subsitent encore sur le site). 

Le verger

La culture des arbres fruitiers est très recherchée en montagne.  les moines font grande consommation de poires, prunes, pommes.

En 1257, la présence de fruitiers sauvages dans les forêts de Montaigut est évoquée. Il semble que les chartreux développent cette culture au moyen de greffes. En 1790, la présence de vergers de luxe dans l’enclos est attestée. L'acte d'adjudication du monastère précise aussi "il y a beaucoup d'arbres fruitiers et espaliers, des allées de tilleul".

 Quelques pommiers subsistent aujourd’hui sur le site qui se rapprochent plutôt des pommes à cidre. Cette présence nous permet de rappeler les compétences des  hartreux dans la culture des arbres fruitiers, en particulier à la chartreuse de Vauvert à Paris où au XVIIIe siècle, les chartreux constituent une pépinière réputée dans la France entière et dans tout le monde occidental; un patrimoine qui perdurent dans les collections du jardin du Luxembourg. 

     

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Les forêts 

Au XIIIème, lors de leur installation, c'est au milieu des bois que les chartreux s'installent comme l'indique plusieurs textes où les donations de terrain stipulent l'autorisation de défricher. Ces forêts à cette époque semblent regrouper des essences de hêtres, de chênes mais aussi des pommiers, des cerisiers ou pruniers fruitiers sauvages. Dans ces forêts, les chartreux ont le privilège "d'user et de disposer librement de leurs bois sans être pour ce inquiétés par les officiers du roi", privilèges confirmés par un arrêté du Conseil d'état du 5 juillet 1717. Cette situation est peut-être à rapprocher du fait que les chartreux sont de bons gestionnaires de leur domaine forestier. On note dans les baux que les preneurs sont régulièrement tenus de planter une certaine quantité d'arbres pour assurer le renouvellement du bois. A Vanauze, c'est sur 10 toises que le métayer doit assurer la plantation de plants vifs, à La Rossignol c'est 8 brassées. Au cours des siècles, les chartreux régulièrement leurs domaines forestiers. Les limites des  bois de la rive droite de la Sioule sont marqués par la présence de bornes "per metas, cruces et signa". Une gestion durable de la forêt qui semble une pratique caractéristique de l'ordre (Les montagnards de La Ruchère et l’ordre des Chartreux.-Emilienne Pepy)

Malgré les défrichements, le domaine forestier des chartreux est relativement important pour un domaine ecclésiastique en Auvergne. Il comprend en 1730, 700 arpents répartis entre futaies de chênes et de hêtres et 583 arpents en taillis de chênes et de hêtres (Vigouroux). L'inventaire du 19 mai 1790, nous apprend que les chartreux "retirent annuellement une somme de dix-sept cent cinquante livres de produits des bois taillis qu'ils ont dans les environs de la dite chartreuse".

Ces bois sont surveillés par un sergent et un garde, en vertu d'une lettre de sauvegarde du duc de Bourbonnais et d'Auvergne, enregistrée à la sénéchaussée de Riom. Un acte de 1435 mentionne le nom de Romeuf Sudre et un de 1485 celui de Pierre Monfreid.

Les prairies

Les chartreux ont toujours été très soucieux de l’entretien de leurs prés. En Montagne, ils distinguent les prés « prats » à l’herbe haute et dense, des pâtures (pascu): landes peu boisées. Ces prés située dans le désert ou dans le territoire d’une de leurs granges sont cultivés directement par les chartreux ou acensés mais ils font toujours l’objet d'aménagements par les moines. C’est ainsi qu’ils achétent des droits d’eau aux bénédictines de Montfermy pour arroser les prés de Malgeule et Cotefait, qu'il créèrent la chaussée de Malgueule pour capter les eaux du Torson et de la Sioule et qu’en Limagne, ils font creuser des fossés pour le drainage.

Dans ces prairies, en 1790, les chartreux "récoltent annuellement cent vingt chars de foin dans les prés qu'ils ont dans les environs de la dite chartreuse et vingt chars de regain". 

L'élevage 

        Le bétail

"Dans la girarde se trouve tout ce qui peut être utile à une grande manutention des écuries pouvant tenir environ 20 chevaux, des étableries à tenir trente bêtes, de granges pour ameubler les fourrages nécessaires". Cette description est une des seules informations sur la ferme interne au couvent.  Mais l'étude de M. Roumy à partir des baux des métairies des chartreux nous donne des informations sur la quantité d'animaux et leurs espéces, ce qui permet en particulier de remarquer l'importance de l'élevage ovin. Ces produits de l’élevage servent à la consommation du couvent mais étaient aussi une source importante de revenus pour les chartreux.

Si, dans les baux, il est mentionné que le bétail est en propre aux chartreux, on remarque, par contre, que le laitage des bestiaux appartient aux métayers qui, en échange payent chaque année des redevances en beurre, fromage et oeufs. 

Les chartreux possédent une basse cour et ont aussi des redevances qui leur permettent d’obtenir des gélines (poules) et donc des sources d’œufs. Les oeufs sont un élément important du régime alimentaire des moines et les poules fournissent duvets et plumes pour la fabrication des couettes.

 

       

           Extraits de baux 

Le 12 avril 1776 : bail de métairie du domaine des Bouchauds à moitié de fruit, pour trois ans renouvelable tous les trois ans entre les chartreux et Grégoire

Gilbert et Louis Mazuel, pères et fils,originaires du village des Richauds, paroisse de Chapdes-Beaufort :

« trois paires de bœufs arrants, douze vaches garnies ou avec leurs veaux, trois torraux, trois velles,une jument avec son poulin,plus vingt moutons

de trois ans, trente un moutons d’un an et cinquante quatre brebis avec leurs aigneaux de l’année, toutx lesdits bestiaux de différent poil, lanage et age au

cheptel prix la somme de dix sept cent soixante et dix livres ».

(5 E 22 DEP 290 : Maigne, notaire à Chapdes-Beaufort)

 

Le poisson

Pour leur alimentation, les moines ont besoin de poissons. Ils en disposent grâce à leurs étangs: 3 à St Gervais (Malmost, Courieux et Pommeyrol), 2 à Chapdes (le Gho, les Estanchons) et aux Ancizes (la Paleine) et à leurs viviers au nord du site et à Prompsat.

A leurs pêcheries de Chapdes, Comps, St Georges et Gouttières.  

A leurs droits de pêche qu'ils ont su garder sur les ruisseaux qui traversent leurs terres à Chapdes, à l'étang de Chancelade.

Un ensemble de textes témoigne de ces pratiques : en 1476, il est mentionnée « les peschiéres vieilles » de Rousset. La déclaration des revenus de 1729 nous indique "que pour les étangs :la pêche se fait de quatre en quatre ans.

Parmi les installations pour se fournir en poisson,  M. Vigouroux, cite la nasse de Tournobert constituée par deux digues de maçonnerie barrant presque toute la rivière et formant un musoir disposé à contre-courant et débouchant dans un large vivier à eau creusé dans le roc achetée le 16 novembre 1501 au prix de 17 livres tournois à Jean et Michel Bosset en compensation d'une créance.

Au XVIIIémela Sioule est riche en truite, comme l'indique les baux de la métairie de Confolens sur la paroisse de Miremont où il est mentionné que le métayer doit fournir un quintal par an de truite. On connait par ailleurs la présence du saumon dans la Sioule par les contrats de louage qui indiquent que ce poisson ne doit pas être servi plus de deux fois par semaine.

Il semble bien que ces différentes ressources ne servent qu’aux besoins des moines et de leurs journaliers. Dans l'inventaire du 19 mai 1790, il est mentionné : "le produit en poisson se consomme dans leur maison".

Les cultures

Autour du monastère et dans les différentes parties du domaine, les terres sont aussi cultivées pour la production des céréales parmi lesquelles on trouvait le seigle, l'avoine, le froment, le blé de mars au rendement le plus souvent faible.  

Le chanvre dont la culture est très courante est semé en avril-mai pour être récolté en août-septembre, les tiges mâles et femelles n'arrivant pas à maturité au même moment.Il avait de multiples usages notamment pour l’agriculture, pour fabriquer des cordes, du tissu pour les vêtements et les draps, de l'huile avec les graines. Le chanvre et le chénevis produits sur les domaines restent aux métayers qui doivent en échange de la toile aux chartreux.

Pour la culture, encore au XVIIIème siècle, le seul instrument aratoire est l'araire de bois formé d'un sabot de bois triangulaire en 3 pièces auquel est fixée une règle de fer au bout pointu avec un mancheron unique long. Elle est tiré par deux boeufs a l'aide d'une tige ou d'une chaîne.  

                

Site culture allier

Dans les baux il est fait mention des superficies des terres labourables en setier : espace que l'on peut ensemencer avec un setier de grains. La superficie des prairies peut être exprimée en journal ce qui correspond au temps de fauchaison  (le pré pouvait être fauché  en 1 jour) ou en fonction de la quantité de récolte : un pré de "x chars de foin" .